Des esthéticiennes injectent de l’acide hyaluronique et ça inquiète ces médecins neuchâtelois
Augmenter le volume de ses lèvres ou effacer ses rides grâce à l’acide hyaluronique est tendance. Mais pas sans risques, en particulier quand c’est réalisé par des personnes inaptes, alertent des spécialistes.
L’acide hyaluronique est la star des réseaux sociaux. Les influenceurs – surtout les influenceuses – en vantent les mérites pour faire disparaître les rides ou gonfler les lèvres.
«Depuis trois ou quatre ans, il y a une explosion du marché de la médecine esthétique. Et des personnes inaptes à réaliser ces injections profitent de la naïveté des jeunes.»
Les mots de la doctoresse Marva Safa sont forts. Elle a créé la clinique La Jouvence, à Neuchâtel, en 2005. Elle souhaite tirer la sonnette d’alarme avec l’un des médecins qu’elle a formés, le docteur Jonathan Margalith.
Attention aux complications
«Les réseaux sociaux idéalisent la médecine esthétique et banalisent les risques», regrette celui-ci.
«Aujourd’hui, n’importe qui peut acheter de l’acide hyaluronique sur internet. Forcément, des gens en profitent», ajoute la doctoresse.
Résultat: «Nous recevons dans notre clinique des personnes avec des complications, qui vont jusqu’à la nécrose des tissus. Et, dans 90% des cas, ça concerne les lèvres. Certaines esthéticiennes (réd: les femmes sont majoritaires dans le métier) ou des personnes qui font ces injections dans un coin de cuisine ne sont pas capables de repérer et gérer ces complications.»
Heureusement, «de manière générale, le travail est bien fait, par des spécialistes compétents. Mais ce marché alternatif existe et il y a des risques», souligne Jonathan Margalith.
Marva Safa martèle: «Dans ‘médecine esthétique’, il y a le mot ‘médecine’. C’est basé sur la science. Nous sommes spécialisés dans la médecine préventive et anti-âge. Les produits, les dispositifs médicaux et les appareils que nous utilisons ont été approuvés par Swissmedic et les instances fédérales.»
Quand j’ai fait ma demande de licence, le médecin cantonal ne m’a pas seulement dit ‘good luck’. Il a vérifié la paperasse. DOCTORESSE MARVA SAFA
Jonathan Margalith précise cependant qu’«il n’existe pas de titre de la Fédération des médecins suisse (FMH) en médecine esthétique».
«Il incombe aux professionnels de se former au plus près de leur conscience. On ne peut pas, déontologiquement, effectuer ces gestes sans avoir l’assurance de savoir exactement ce que l’on fait.»
Dès le 1er juin 2024, certaines pratiques esthétiques seront davantage encadrées au niveau national.
Douze traitements ne pourront plus être réalisés que par les titulaires d’une attestation de compétences. Le traitement des rides, et donc l’utilisation d’acide hyaluronique, en fait partie.
En attendant, selon Marva Safa, «il faut vérifier le parcours des médecins. Le nôtre est détaillé sur notre site internet.»
«Quand j’ai fait ma demande de licence, le médecin cantonal ne m’a pas seulement dit ‘good luck’. Il a vérifié la paperasse, mes compétences, le matériel etc..»
Le double du prix
Si le marché alternatif existe, c’est pour des questions de coûts: «Chez nous, les injections dans les lèvres, par exemple, c’est 500 francs. Avec une première consultation gratuite, le suivi et les retouches. Chez une esthéticienne, c’est 150 à 250 francs.»
Ces prestations ne sont pas prises en charge par les assurances.
Qui a le droit d’injecter quoi ? La jungle des règlements
«Pour une pratique de la médecine esthétique sûre, il est nécessaire de se rendre chez un médecin autorisé à pratiquer sous sa propre responsabilité (réd: ayant un titre FMH en médecine ou en chirurgie), formé en médecine esthétique. Et non pas chez une esthéticienne ou autre professionnel qui n’aura bénéficié que de quelques jours de formation.»
Isabelle Maillat Schreyer, responsable communication du Service cantonal de la santé publique, confirme les propos des spécialistes de La Jouvence.
Les médecins sont les seuls à pouvoir injecter de l’acide hyaluronique restant «plus de 30 jours dans le corps humain», selon l’article 70 de l’ordonnance sur les dispositifs médicaux.
Pour les produits éphémères (qui restent moins de 30 jours dans le corps), il faut se référer à un aide-mémoire publié en 2021 par Swissmedic. Il a été rédigé en raison du «manque de clarté des diverses dispositions légales».
Dans ce document, il est précisé que les esthéticiennes ont le droit d’utiliser les produits éphémères. Mais cela dépend des règlements cantonaux.
L’aide-mémoire de Swissmedic
A Neuchâtel, la surveillance des soins réalisés par les esthéticiennes relève de la compétence du Service de la consommation et des affaires vétérinaires (Scav).
Les injections de produits pour le traitement des rides sont considérées comme des activités à risque. Elles ne sont pas soumises à autorisation, mais doivent être annoncées auprès du Scav.
Les esthéticiennes doivent garantir que la santé des patients n’est pas mise en danger. «Sans preuve scientifique mentionnée par le fabricant dans l’information du dispositif, l’esthéticienne ne peut pas utiliser le produit», précise Pierre-François Gobat, chef du Scav.
En cas de non-respect des règles, «nous avons la possibilité de prendre des mesures administratives, comme l’interdiction d’utiliser certaines substances».
Pierre-François Gobat le dit aussi clairement: «Pour être sûr de la qualité du soin, aller chez un médecin semble être la meilleure option.»
Article paru sur Arcinfo le 3 juillet 2023 par Vicky Huguelet